- ENZENSBERGER (H.-M.)
- ENZENSBERGER (H.-M.)ENZENSBERGER HANS-MAGNUS (1929- )Successivement ou simultanément lecteur aux éditions Suhrkamp, assistant d’un metteur en scène, collaborateur de la radio de Stuttgart, traducteur, journaliste et responsable éditorial pendant dix ans de la revue Kursbuch avant la création de sa propre maison d’édition, Enzensberger, né en 1929, peut être considéré comme le prototype de l’écrivain et du poète moderne que rien de ce qui se passe à son époque ne laisse indifférent.À vingt-huit ans, il publie son premier recueil de poèmes, Défense des loups (Verteidigung der Wölfe , 1957). Celui-ci lui vaut le prix littéraire du Groupe 47 et une réputation de «jeune homme en colère» qui le suivra jusqu’à son tournant politique de 1967. Enzensberger fait, en effet, appel à tous les procédés littéraires, aujourd’hui classiques, pour forcer l’attention du lecteur: citations déformées ou amalgamées, proverbes détournés de leur sens, «collages», recours savant à la banalité et au vocabulaire cru, chocs systématiques de mots; tous procédés qui seront repris et amplifiés dans L’Alphabet des aveugles (Blindenschrift ) de 1962. Comme il s’en explique dans de nombreuses œuvres à caractère programmatique (La Naissance d’un poème , Die Entstehung eines Gedichts , également de 1962, ou Poésie et Politique , de la même année), le poète ne peut pas ne pas jouer un rôle politique, et tout poème est politique dans la mesure où il représente une subversion du réel. Le rôle du poète, c’est la résistance, le refus, la protestation contre les valeurs existantes. Enzensberger s’est assigné comme mission, fort ambitieuse, de réaliser ce qu’il appelle l’«alphabétisation politique» de l’Allemagne, en dehors de tout engagement partisan. Le poème est donc un «instrument de production», il doit être utilisé par le lecteur pour «produire» la vérité.Enzensberger fonde en 1965 la revue trimestrielle Kursbuch , qui, fidèle à ce programme, se voudra le porte-parole de tous ceux qui, en Allemagne, «pensent autrement» et s’insurgent contre le conformisme ambiant. Abordant tous les sujets brûlants de l’actualité (guerre du Vietnam, répression des mouvements étudiants, drogue, homosexualité, antipsychiatrie), la revue, qui s’inspire de la formule souple des Temps modernes , donne la parole aux théoriciens révolutionnaires de toutes obédiences; on y trouvera des «confessions» de ménagères recueillies au magnétophone ou les récits d’expériences marginales. Le succès est immédiat et durable.À partir des années 1967-1968, par suite de la rencontre avec l’opposition extraparlementaire et la révolution cubaine, Enzensberger va abandonner progressivement la thèse du pouvoir subversif de la poésie. L’analyse politique passe dès lors au premier plan. L’Allemagne, l’Allemagne entre autres (Deutschland, Deutschland, unter anderem , 1967), dont le titre, parodique, est caractéristique de la manière du poète, L’Interrogatoire de La Havane (Das Verhör von Habana , 1970), Le Court Été de l’anarchie (Der kurze Sommer der Anarchie , 1972), sorte de montage sur l’anarchiste Buaneventura Durruti, Les Chemins de la liberté (Der Weg ins Freie , 1975) voient Enzensberger s’engager résolument dans la critique de la société contemporaine, au nom d’un idéal politique qui se sait partiel et partial, mais refuse toute étiquette et toute idéologie. Cette critique passe aussi bien par la poésie du Naufrage du Titanic (1978) et de Mausolée (1975), où se trouve mis en scène, à travers un collage narratif qui confronte les figures de Machiavel, Malthus et Stanley, entre autres, l’échec de l’idée de progrès sur laquelle se fonde la civilisation occidentale, que par des essais caustiques, tels que Europe, Europe! (1987) ou Perspectives sur la guerre civile (1993), qui analysent les silences et les contradictions de nos sociétés.
Encyclopédie Universelle. 2012.